La jonction entre deux DSP est parfois difficile à réaliser. Un recours contre une procédure de passation, une annulation d’un contrat de DSP en cours, une procédure de passation infructueuse etc. : nombreux sont les événements imprévus pour lesquels l’urgence à conclure un contrat de DSP, même provisoire, se heurte à une procédure de publicité et de mise en concurrence longue et rigoureuse.
Jusqu’à présent, les juridictions administratives n’avaient pas dégagé de solution claire. Soit elles assimilaient une convention provisoire à une simple prolongation du contrat initial (CAA Marseille, 9 avril 2009, Cne d’Orange, n°07MA02807), soit elles reconnaissaient la possibilité pour la personne publique de prolonger unilatéralement le contrat, sauf pour les conditions financières de la convention (CAA Douai, 16 novembre 2006, Syndicat mixte des transports en commun de la communauté urbaine de Lille, n°05DA00233). Plus récemment, le juge avait même admis la possibilité pour une collectivité territoriale de prendre une mesure de police administrative pour assurer la continuité d’un service public en cas de résiliation du contrat initial (CAA Marseille, 30 janvier 2015, société Scam TP, n°13MA03765).
Prenant acte de cette situation de fait, le Conseil d’Etat vient de préciser les cas dans lesquels une personne publique peut conclure un contrat de délégation de service public temporaire, sans respecter les obligations de publicité et de mise en concurrence qui lui incombent normalement (CE, 4 avril 2016, Société Caraïbes Développement, n°396191).
En l’espèce, la Communauté d’agglomération du centre de la Martinique (CACEM) a conclu en 2008 une convention de délégation de service public portant sur la gestion et l’exploitation d’une fourrière de véhicules avec une société privée. Ce contrat, repris en 2011 par la société Caraïbes Développement, avait pour terme le 31 août 2015. En vue de la fin du contrat, la CACEM a souhaité le prolonger par avenant jusqu’au 30 avril 2016, motif pris du transfert de cette compétence à l’Etat à cette date et afin d’éviter de conclure une nouvelle convention de longue durée.
Toutefois, deux clauses de l’avenant ainsi conclu avec la société Caraïbes Développement ont été considérées comme illégales par le préfet de la Martinique, avis qui a conduit la CACEM a « retiré » ledit avenant et a conclure un nouveau contrat provisoire avec une autre société.
C’est la procédure de passation de ce contrat provisoire qui était contestée par la société Caraïbes Développement qui arguait, devant le juge du référé contractuel, de l’absence de toute procédure de publicité et de mise en concurrence.
La CACEM pouvait-elle conclure un contrat de délégation de service public provisoire sans publicité ni mise en concurrence et, le cas échéant, sous quelles conditions ?
Les juges du Palais Royal estiment que la conclusion d’un contrat provisoire de délégation de service public est possible, sans procédure de publicité et de mise en concurrence (qui est pourtant la règle en principe), si trois conditions cumulatives sont réunies :
- L’urgence caractérisée par l’impossibilité imprévisible, soudaine et extérieure à la volonté de la personne publique, de faire poursuivre l’exécution du service public par son cocontractant ou par elle-même. A ce titre, on peut imaginer que la fin naturelle du contrat ou qu’une situation de défaillance dans laquelle se serait elle-même placée l’autorité délégante ne saurait caractériser la condition d’urgence ;
- Un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public ;
- Une durée du contrat provisoire ne dépassant pas le délai nécessaire à la mise en œuvre d’une procédure de publicité et de mise en concurrence en bonne et due forme ou pour organiser les conditions de la reprise du service en régie.
En l’espèce, le « retrait » de l’avenant de prolongation par la CACEM a été regardé comme une résiliation à l’initiative de la personne publique alors que le contrat aurait valablement pu être prolongé, circonstance faisant obstacle à ce que la condition d’urgence soit regardée comme remplie et, en conséquence, à ce que le contrat provisoire puisse être conclu sans publicité ni mise en concurrence.
Si la clarification apportée par le Conseil d’Etat constitue une avancée par la reconnaissance expresse de la légalité de ces conventions provisoires, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une exception dont les conditions d’application sont très strictes et qui exige une attention toute particulière avant la conclusion d’un contrat provisoire.
Reste aussi à savoir si cette jurisprudence s’appliquera aux contrats soumis aux nouvelles règles sur les concessions applicables depuis le 1er avril 2016.
Article rédigé par Sophie Lapisardi, avocat associée, spécialiste en droit public et Alexandre Delavay, juriste.