Voir notre article en format PDF
Deux notions articulées autour d’un même but : favoriser la construction en limitant les recours
En 2013, l’intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme a fait l’objet d’une nouvelle définition, plus restrictive, afin de limiter les recours abusifs (voir sur ce point nos articles du 21 juillet 2016 et du 27 mai 2017).
L’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme exige désormais que les requérants démontrent que les conditions de jouissance, d’occupation et d’utilisation de leur bien soient affectées par le projet qu’ils attaquent.
La notion de recours abusifs, prévue à l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme, est aussi très restrictive. Elle vise l’hypothèse où le droit de former un recours est mis en œuvre dans des conditions excédant la défense des intérêts légitimes du requérant. Et encore faut-il qu’un préjudice « excessif » [sic] soit causé au titulaire du permis. Il existe ainsi peu de décisions de condamnation sur ce terrain (Voir sur ce point notre article du 15 novembre 2016).
Quoi qu’il en soit, il est clair que la redéfinition de l’intérêt à agir et la répression des recours abusifs obéissent au but commun de limiter les recours contre les permis afin de favoriser la construction.
Pour autant, le défaut d’intérêt à agir ne suffit pas à caractériser l’existence d’un recours abusif
L’analyse d’une sélection de jurisprudences quant à l’articulation de ces deux notions, démontre que l’absence d’intérêt à agir n’est pas nécessairement déterminant pour que le recours soit qualifié d’abusif.
En revanche, il constitue un critère récurrent, tout comme la présence ou l’absence d’arguments manifestement infondés.
En définitif, la qualification de recours abusif semble plus dépendre de l’existence d’arguments manifestement infondés, que de l’intérêt à agir.
L’attitude dilatoire du requérant ne ressort pas des décisions analysées de manière significative, au premier chef car l’argument n’était pas invoqué dans le cadre des affaires examinées.
La qualification de recours abusif devant le juge administratif est donc difficile à reconnaître. A cet égard, la décision du Tribunal administratif de Lyon du 17 novembre 2015 semble isolée.
L’action en réparation serait-elle alors plus facile devant le juge judiciaire ?
De manière classique concernant l’abus du droit d’agir en justice, le juge judiciaire recherche l’intention de nuire ou la légèreté blâmable du demandeur.
Contrairement au juge administratif, il n’indemnise pas uniquement le préjudice « excessif », mais l’ensemble des préjudices.
Des requérants ont par exemple été condamnés à payer 385.873,15 euros de dommages et intérêts pour recours abusif (Cass. 3e civ., 5 juin 2012, n° 11-17.919). Cet arrêt fait toutefois figure d’exception et les décisions sont, depuis, devenues rares.
Reste donc à voir ce que nous réserve le Gouvernement dans le projet de loi sur la stratégie logement, dont la présentation en Conseil des Ministres a été annoncée pour la mi-décembre.
Verra-t-on enfin des mesures réellement efficaces pour lutter contre les recours abusifs ?
Article rédigé par Agnès Boudin et Lauriane Tonani, Avocats à la Cour