Recours contre une autorisation d’urbanisme : comment prouver son intérêt à agir ?

La démonstration de l’intérêt à agir contre un permis de construire, un permis d’aménager ou une déclaration préalable peut s’avérer complexe au regard des dernières évolutions jurisprudentielles.

Dans une volonté de relancer l’immobilier en limitant les recours contentieux, une ordonnance du 18 juillet 2013 est venue donner une définition de l’intérêt à agir qui se voulait, sur le principe, plus restrictive que la jurisprudence précédente. L’article L.600.1-2 du Code de l’urbanisme  précise ainsi que :  « Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».

Dans une décision du 10 juin 2015 (n°386121), le Conseil d’Etat a donné une première interprétation de ces dispositions selon laquelle :

  • Le Juge administratif apprécie l’intérêt à agir en fonction des éléments versés à l’instance par les parties, en écartant les arguments qui lui semblent insuffisamment étayés.
  • Le requérant n’a pas à justifier du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de son recours. Il suffit que ces atteintes soient directes.

Sur le terrain probatoire, le juge distingue deux situations dans lesquelles peuvent se trouver le requérant :

  • Si le requérant occupe un bien qui n’est pas directement limitrophe au projet, « les documents produits par l’auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux « (CE, 10 février 2016, SAS Sifer Promotion, n°387507). Par exemple, il pourrait s’agir d’une estimation immobilière faisant état de la dépréciation vénale du bien du requérant en raison de la construction projetée. Il pourrait également s’agir de photographies prises depuis le bien du requérant vers l’emplacement de la construction envisagée, montrant que celle-ci constituerait une pollution visuelle gênante au quotidien.
  • Si le requérant est voisin immédiat de la construction, le juge adoucit les conditions d’appréciation de l’intérêt à agir. En effet, cet intérêt à agir est reconnu par principe « lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction »(CE, 13 avril 2016, Bartolomei, n°389798). Une décision du Conseil d’Etat du 20 juin 2016 vient donner l’exemple d’un ensemble de preuves suffisant que peut alors fournir le requérant, en l’occurrence : la copie de la demande de permis, du permis délivré ainsi que d’un plan indiquant l’implantation des constructions envisagées, un acte de notoriété, une facture d’électricité établissant la qualité de propriétaire voisin et un extrait de plan cadastral  faisant apparaître la localisation du terrain d’assiette du projet par rapport à la parcelle du demandeur ainsi que la proximité avec la voie d’accès au lotissement. En pratique, la preuve de l’intérêt à agir sera ainsi apporté par la réunion de plusieurs pièces : plans, photographies, factures…

Concernant le voisin immédiat, la preuve de l’intérêt à agir est donc très proche de la jurisprudence antérieure à 2013. L’objectif de limitation du nombre de recours est donc difficile à satisfaire par ce biais. La récente jurisprudence sur l’intérêt à agir incite donc certains à considérer que la réforme de 2013 est un objectif manqué.

On rappellera cependant que le Rapport Labetoulle qui a servi de base à la rédaction de la réforme du contentieux de l’urbanisme précisait déjà que la nouvelle rédaction de l’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme « autant le dire clairement, ne se démarquera pas franchement de la jurisprudence qui s’est développée en l’absence de texte » et précisait « le groupe de travail mesure aussi que le gain qu’il faut en attendre est modeste ».

En termes d’efficacité, il faudra donc probablement plutôt compter sur la sanction des recours abusifs que sur la restriction de l’intérêt à agir.

Article rédigé par Agnès Boudin, Avocat à la Cour.