Un pas supplémentaire vient d’être franchi vers la (longue) réalisation du Paris-Charles de Gaulle Express avec la publication de l’ordonnance n°2016-157 du 18 février 2016, prévue par la loi « Macron » du 6 août 2015.

Cette ordonnance pose la base du cadre juridique et institutionnel -pour le moins dérogatoire- qui permettra de réaliser l’infrastructure ferroviaire reliant Paris Gare de l’Est et l’aéroport Charles de Gaulle en moins de 20 minutes

Schéma CDG v8

  • Une concession de travaux attribuée à une société ad hoc

L’Etat attribue une concession de travaux à une société détenue majoritairement par SNCF Réseau et Aéroport de Paris. Cette concession a pour objet la conception, le financement, la réalisation ou l’aménagement, l’exploitation et la maintenance de l’infrastructure ferroviaire.

La société ainsi constituée est gestionnaire de l’infrastructure, qui comprend les missions de répartition des capacités et de tarification. Elle confie certaines missions à SNCF Réseau, SNCF Mobilité et Aéroport de Paris (voir schéma).

Le contrat de concession devra être approuvé par décret en Conseil d’Etat et prévoir les modalités de partage des risques entre l’Etat et la société.

  • Une part minoritaire du capital de la société concessionnaire ouverte aux tiers

Il est prévu qu’une partie minoritaire du capital social de la société pourra être ouverte aux tiers.

Sur ce point, le contrat de concession devra préciser les modalités de cette ouverture. Nous retrouverons sûrement les acteurs traditionnels du financement public, telle que la Caisse des dépôts et consignations.

  • La non application de la loi MOP dans les rapports entre la société concessionnaire, SNCF Réseau, SNCF Mobilité et Aéroport de Paris

L’article 5 de l’ordonnance prévoit que les rapports entre le concessionnaire SNCF Réseau, SNCF Mobilité et Aéroport de Paris (voir schéma) ne seront pas soumis à la loi MOP du 12 juillet 1985.

  • La possibilité d’effectuer des commandes groupées

L’Ordonnance prévoit que cette société, la SNCF Réseau, la SNCF Mobilité et Aéroport de Paris pourront constituer entre eux des groupements de commandes.

  • Les mesures d’expropriation

La procédure prévue à l’article L.522-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique (article L.522-1 du Code de l’expropriation) pourra être appliquée en vue de la prise de possession de tous terrains non bâtis dont l’acquisition est nécessaire à la réalisation de l’infrastructure ferroviaire.
De manière dérogatoire, la prise de possession pourra donc être autorisée par décret en Conseil d’Etat, avant que le juge de l’expropriation n’ait fixé les indemnités dues aux expropriés.

Pour aller plus loin

L’attribution directe de cette concession par la loi s’appuie notamment sur l’article 31 la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 qui prévoit que l’Etat n’est pas tenu de publier un avis de concession dès lors que les travaux à effectuer ne peuvent être exécutés que par un opérateur économique particulier en raison, notamment, d’une absence de concurrence pour des raisons techniques et de l’existence de droits exclusifs.

Il sera noté que les dispositions de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et son décret de transposition ne s’appliquent pas ici, ces derniers n’entrant en vigueur qu’à partir du 1er avril 2016.

Article rédigé par Agnès Boudin, Avocat à la Cour et Mickaël Laurent, stagiaire  (Master 2 Droit public des affaires)

Dans tous les cas, le recours dirigé contre le contrat tend à obtenir son annulation, sa résiliation et/ou une indemnisation du requérant, candidat injustement évincé.

Mais de la réponse à cette question dépend le régime juridique applicable au recours, comme vient de le décider le Conseil d’Etat dans un arrêt du 5 février 2016 SMTCHT (n°383149) :

 

Pour une signature AVANT le 4 avril 2014, le recours sera régi par les règles issues de la décision du Conseil d’Etat du 16 juillet 2007, Sté Tropic travaux signalisation (n°291545) ;

Pour une signature APRES le 4 avril 2014, le recours sera soumis aux règles plus restrictives de la décision du Conseil d’Etat du 4 avril 2014, Département du Tarn et Garonne (n°358994).

Pour le candidat évincé d’un contrat public, la différence est de taille au regard de l’intérêt à agir et du caractère opérant des moyens.

Dans cette affaire, la Sté Voyages Guirette, concurrent évincé, a pu bénéficier de cette clarification. Elle invoquait la violation de l’article 77 du code des marchés publics (durée maximale des marchés à bons de commande) en solicitant l’annulation du contrat. Parce que ce dernier avait été conclu avant le 4 avril 2014, le juge n’a pas exigé la démonstration de la lésion d’un intérêt et a résilié le marché. Il aurait au contraire, conclu que le moyen était inopérant si l’affaire avait été jugée sous le régime de la jurisprudence Tarn et Garonne.

Nous pouvons ainsi résumer les différences entre ces deux régimes de recours :

Pour aller plus loin :

Dans ses conclusions sous l’arrêt du 5 février 2016, le Rapporteur public, Olivier Henrard se livre à une analyse détaillée des différences entre ces deux recours, mais également entre le recours Tarn et Garonne et le référé précontractuel. En effet, dans ces deux derniers cas, le requérant doit démontrer qu’il est lésé par le manquement invoqué. Nous serions donc tentés de considérer que le juge opère le même contrôle pour ces deux catégories de recours.

Mais le Rapporteur public prévient : « une appréciation des moyens qui conduirait à faire du nouveau recours [Tarn et Garonne] une séance de rattrapage du référé précontractuel, ruinerait évidemment l’objectif de simplification de la carte des recours contentieux qui fonde Tarn-et-Garonne. Il est dans l’intérêt du contribuable, des entreprises, d’une bonne administration de la justice et il est d’ailleurs conforme à la volonté du législateur européen, que le contentieux contractuel soit vidé de plus en amont possible. Et donc que les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence soient traités au stade du référé précontractuel. Il serait contreproductif, à cet égard, de permettre au concurrent évincé de demander au juge ce qu’il pouvait obtenir du juge du référé précontractuel et qui lui a été refusé par celui-ci ».

Aussi, si le concurrent évincé dispose de plusieurs recours (référé précontractuel, référé contractuel, recours contre le contrat (Tropic ou Tarn-et-Garonne)…), il doit établir avec minutie sa stratégie contentieuse en fonction des moyens qu’il soulève.

 

Article rédigé par Sophie Lapisardi, Avocat associée, Spécialiste en Droit Public

Jusqu’au 1er avril prochain, coexistent deux catégories de marchés soumis aux règles de publicité et de mise en concurrence : ceux régis par le code des marchés publics et ceux soumis à l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics. Ces derniers concernent principalement des marchés passés par les organismes de droit public ou de droit privé créés pour satisfaire un besoin d’intérêt général et qui sont composés, contrôlés ou financés par un pouvoir adjudicateur soumis au code des marchés publics, comme par exemple les sociétés d’économie mixte (SEM), les offices HLM ou la Banque de France.

A l’occasion d’un dossier concernant la Société Bygmalion, la chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 17 février 2016, affirme, pour la première fois, que le délit de favoritisme s’applique indistinctement aux marchés publics passés en application du code des marchés publics et aux contrats relevant de l’ordonnance du 6 juin 2005 (Cour de cassation, crim., 17 février 2016, n°15-85.363).

En l’espèce, France Télévision, société anonyme à capitaux publics chargée d’une mission de service public, avait conclu plusieurs contrats de prestation de service avec la société Bygmalion SAS, sans respecter les principes de la commande publique, tenant notamment à l’égalité de traitement des candidats et à la transparence des procédures.

Le délit de favoritisme (ou délit d’octroi d’avantage injustifié) s’appliquait-il ?

La question pouvait effectivement se poser au regard de la rédaction de l’article L. 432-14 du code pénal qui vise précisément le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié en violation des règles garantissant le libre accès et l’égalité des candidats aux « marchés publics », notamment. D’ailleurs, jusqu’à cette décision, les tribunaux limitaient cette incrimination aux seuls marchés publics soumis au code des marchés publics, conformément au principe d’interprétation stricte de la loi pénale.

La Cour de cassation opère donc un revirement de jurisprudence et adopte une définition plus large du marché public. Elle estime en effet qu’il s’entend des « marchés passés par des personnes morales investies d’une mission d’intérêt général ou de service public, dont la rémunération sera assurée par l’adjudicateur ou l’entité adjudicatrice au sens de l’ordonnance du 6 juin 2005 ». Elle écarte le moyen tiré de l’interprétation stricte de la loi pénale en considérant que ces dispositions ont pour objet de « faire respecter les principes à valeur constitutionnelle de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ; que ces principes, qui constituent également des exigences posées par le droit de l’Union européenne, gouvernent l’ensemble de la commande publique ».

Cette décision novatrice de la Cour de cassation anticipe l’entrée en vigueur de la réforme de la commande publique du 1er avril 2016.

En effet, sous réserve des précisions qui seront apportées par le décret d’application, la distinction entre les marchés publics et les contrats passés par les autres pouvoirs adjudicateurs est amenée à disparaître.
L’article 4 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 créé une catégorie générale, applicable tant aux personnes morales de droit public qu’aux opérateurs privés, définie comme les « contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à la présente ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ».

Article rédigé par Sophie Lapisardi, Avocat associée et Alexandre Delavay, juriste