Le délit de favoritisme étendu à tous les marchés publics !

Jusqu’au 1er avril prochain, coexistent deux catégories de marchés soumis aux règles de publicité et de mise en concurrence : ceux régis par le code des marchés publics et ceux soumis à l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics. Ces derniers concernent principalement des marchés passés par les organismes de droit public ou de droit privé créés pour satisfaire un besoin d’intérêt général et qui sont composés, contrôlés ou financés par un pouvoir adjudicateur soumis au code des marchés publics, comme par exemple les sociétés d’économie mixte (SEM), les offices HLM ou la Banque de France.

A l’occasion d’un dossier concernant la Société Bygmalion, la chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 17 février 2016, affirme, pour la première fois, que le délit de favoritisme s’applique indistinctement aux marchés publics passés en application du code des marchés publics et aux contrats relevant de l’ordonnance du 6 juin 2005 (Cour de cassation, crim., 17 février 2016, n°15-85.363).

En l’espèce, France Télévision, société anonyme à capitaux publics chargée d’une mission de service public, avait conclu plusieurs contrats de prestation de service avec la société Bygmalion SAS, sans respecter les principes de la commande publique, tenant notamment à l’égalité de traitement des candidats et à la transparence des procédures.

Le délit de favoritisme (ou délit d’octroi d’avantage injustifié) s’appliquait-il ?

La question pouvait effectivement se poser au regard de la rédaction de l’article L. 432-14 du code pénal qui vise précisément le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié en violation des règles garantissant le libre accès et l’égalité des candidats aux « marchés publics », notamment. D’ailleurs, jusqu’à cette décision, les tribunaux limitaient cette incrimination aux seuls marchés publics soumis au code des marchés publics, conformément au principe d’interprétation stricte de la loi pénale.

La Cour de cassation opère donc un revirement de jurisprudence et adopte une définition plus large du marché public. Elle estime en effet qu’il s’entend des « marchés passés par des personnes morales investies d’une mission d’intérêt général ou de service public, dont la rémunération sera assurée par l’adjudicateur ou l’entité adjudicatrice au sens de l’ordonnance du 6 juin 2005 ». Elle écarte le moyen tiré de l’interprétation stricte de la loi pénale en considérant que ces dispositions ont pour objet de « faire respecter les principes à valeur constitutionnelle de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ; que ces principes, qui constituent également des exigences posées par le droit de l’Union européenne, gouvernent l’ensemble de la commande publique ».

Cette décision novatrice de la Cour de cassation anticipe l’entrée en vigueur de la réforme de la commande publique du 1er avril 2016.

En effet, sous réserve des précisions qui seront apportées par le décret d’application, la distinction entre les marchés publics et les contrats passés par les autres pouvoirs adjudicateurs est amenée à disparaître.
L’article 4 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 créé une catégorie générale, applicable tant aux personnes morales de droit public qu’aux opérateurs privés, définie comme les « contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à la présente ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ».

Article rédigé par Sophie Lapisardi, Avocat associée et Alexandre Delavay, juriste