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Est-il possible de cesser d’exécuter un contrat public si l’administration ne paye pas ?

Est-ce que le titulaire d’un contrat public (marché public, concession…) peut arrêter d’exécuter ses obligations contractuelles si son cocontractant, administration, ne le paye pas ou plus ?

La réponse ressemble un peu à une valse à trois temps : Non, mais oui, mais non.

Explications :

Nous mettrons immédiatement de côté l’hypothèse d’une absence de paiement résultant d’une violation des propres obligations contractuelles de l’entreprise auquel cas toute décision d’interrompre l’exécution du contrat est non seulement interdite, mais aggraverait sa situation.

Si aucune faute ne peut lui être reprochée, la règle, rappelée et appliquée récemment par le Conseil d’Etat est la suivante :

En principe, il n’est pas possible de rompre les relations contractuelles :

« Le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d’en assurer l’exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir de manquements ou de défaillances de l’administration pour se soustraire à se propres obligations contractuelles ou prendre l’initiative de résilier unilatéralement le contrat ».

Le principe est donc clair : subir dans un premier temps, sachant qu’il sera toujours possible d’être rapidement indemnisé par le biais d’un référé provision, voire même d’obtenir du juge (du fond) qu’il prononce la résiliation aux torts de la personne publique.

Une exception existe mais est soumise à trois conditions cumulatives ; Il est possible de cesser d’exécuter le contrat et d’y mettre fin :

  1. Si le contrat le prévoit expressément ;

  2. Et s’il ne concerne pas l’exécution d’une mission de service public ;

  3. Et enfin, si l’administration n’a pas invoqué un motif d’intérêt général justifiant selon elle, la poursuite des relations contractuelles.

En effet, avant de mettre fin aux relations contractuelles, le cocontractant devra avoir mis à même la personne publique de s’opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d’intérêt général, tiré notamment des exigences du service public.

Par exemple, pour un marché de fourniture de matériel médical, la personne publique pourrait soutenir que le matériel fourni est indispensable au bon fonctionnement du service hospitalier et s’opposer ainsi à l’application de la clause permettant à son cocontractant de résilier le contrat.

Or, si l’administration invoque un motif d’intérêt général, le cocontractant doit obligatoirement poursuivre l’exécution du contrat sous peine de voir le contrat être résilié à ses torts exclusifs et ce, même si le motif n’est pas justifié.

Si l’envie venait à l’entreprise de ne pas exécuter ses obligations, l’Administration pourrait appliquer des pénalités et si ce n’est pas suffisant, saisir le juge des référés afin qu’il fasse injonction au cocontractant d’exécuter son contrat sous peine d’une astreinte.

Cette situation – bien désagréable – ne serait toutefois que passagère car l’entreprise pourrait alors contester devant le juge le motif d’intérêt général qui lui est opposé afin d’obtenir la résiliation du contrat et en tout état de cause, une indemnisation de son préjudice, y compris très rapidement par le biais d’un référé-provision.

Récemment, le Conseil d’Etat a sanctionné un cocontractant qui n’exécutait plus son contrat au motif que l’Administration ne payait pas son sous-traitant. En effet, aucune stipulation de son contrat ne l’autorisait à le faire. Le juge lui ordonne de reprendre l’exécution du contrat avec une astreinte de 2000 euros par jour de retard (CE, 19 juillet 2016, CH Andrée Rosemon, n° 399178).

En sens inverse, il a été jugé qu’une société avait parfaitement pu rompre ses relations contractuelles avec son cocontractant, le MUCEM, pour défaut de versement des loyers de location du matériel mis à sa disposition. En effet, son contrat le prévoyait, il ne concernait pas l’exécution du service public et l’établissement public n’avait jamais invoqué un motif d’intérêt général avant la résiliation par la société (CAA Nancy 2 avril 2015, Grenke Location n° 14NC01916).

On le voit, la prudence est de mise… pour les deux parties :

  • Cesser d’exécuter ses obligations contractuelles quand l’administration est son cocontractant n’est possible que dans des cas limités ;
  • Mais l’administration s’expose de son côté, à indemniser intégralement son cocontractant, voire même à ce que le contrat soit résilié par le juge à ses torts exclusifs.

Dans ces situations, la palette d’intervention du juge des référés permet à chacune des parties d’obtenir rapidement une décision.

 

Sophie Lapisardi, avocat associé, Spécialiste en droit public