COVID-19 et marchés publics : quelles conséquences sur les procédures de passation après l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 ?
Les mesures exceptionnelles prises en raison du COVID-19 ont de multiples conséquences sur les procédures de passation en cours. Cette situation inédite nécessite de prendre des mesures particulières du côté de l’acheteur.
L’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas, pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19, prévoit plusieurs dispositions sur la passation des marchés publics.
- Nouveauté de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 : les modalités de mise en concurrence pourront être aménagées (article 3)
Si les modalités de la mise en concurrence prévues dans les documents de la consultation ne peuvent pas être respectées par l’acheteur public, il peut les aménager en cours de procédure. Il devra toutefois respecter le principe d’égalité de traitement des candidats.
Remarque : Cette formulation générale semble laisser une grande liberté à l’acheteur public. Mais ce n’est qu’une apparence. Cet article fait prévaloir le principe d’égalité, comme le fait d’ailleurs déjà l’article L.3 du code de la commande publique (CCP). Or, ce principe va jouer le rôle de garde-fou.
- Les délais de remise des candidatures et des offres doivent être reportés
Le délai de remise des candidatures et des offres est la date et l’heure maximale imparties aux candidats pour déposer leurs candidatures et leurs offres. A défaut de respecter ce délai, l’offre ou la candidature est irrecevable.
Les acheteurs doivent le fixer en tenant compte (R.2143-1, R.2143-2, R.2151-1 et R.2151-3 du Code de la commande publique) :
- De la complexité du marché ;
- du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour répondre ;
- Ainsi que de l’existence d’une visite des sites ou de la consultation de documents sur place.
Le code prévoit deux cas dans lesquels le délai de remise des offres doit obligatoirement être prolongé (R.2151-4 du CCP) :
- Lorsque les documents de la consultation sont modifiés de façon importante ;
- Ou lorsqu’un complément d’informations, nécessaire à l’élaboration de l’offre, demandé en temps utile par l’opérateur économique, n’est pas fourni dans les délais par l’acheteur.
Ces hypothèses ne concernent pas directement l’hypothèse actuelle.
Toutefois, l’acheteur peut toujours prolonger les délais de remise des candidatures et des offres pour d’autres raisons. Par exemple, une prolongation 20 minutes a été admise en raison de problèmes techniques sur la plateforme de dématérialisation (CAA de NANTES, 22/12/2017, 16NT01413).
En effet, les mesures exceptionnelles prises en raison du COVID-19 justifient que les acheteurs prolongent les délais de remise des candidatures et des offres car les entreprises n’ont pas nécessairement eu le temps ou ne peuvent pas matériellement répondre dans les délais impartis (désorganisation des services, manque de personnel, remise d’échantillons impossible etc).
Si la mise en œuvre de cette mesure relève en principe, de la libre appréciation de l’acheteur, il semble que l’ordonnance l’impose.
En effet, elle prévoit que les délais de réception des candidatures et des offres « sont prolongés » (article 2).
La durée de cette prolongation n’est pas fixée par l’ordonnance ; Elle est laissée à l’appréciation de l’acheteur.
Exception : cette prolongation ne s’applique pas si les prestations commandées doivent être obtenues rapidement (« ne peuvent souffrir aucun retard »).
A notre sens, il faudra toujours respecter certaines conditions :
- Publier un avis rectificatif et informer tous les opérateurs économiques qui ont téléchargé les documents de la consultation du nouveau délai ;
- Modifier les documents de la consultation et notamment le règlement de la consultation pour indiquer ce nouveau délai ;
- Modifier tous les délais contractuels susceptibles d’être impactés par ce report (date de début d’exécution des prestations, date de fin du marché public, les éventuels phasages de travaux etc).
Et que faire si les opérateurs économiques ont déjà déposé une offre avant le report de délai ?
Dans ce cas, les opérateurs économiques pourront bénéficier du report du délai pour améliorer leur offre et en déposer une nouvelle. Seule la dernière offre déposée sera examinée par l’acheteur (article R2151-6 du CCP).
- Il est possible de reporter le délai de validité des offres
Les documents de la consultation fixent un délai de validité des offres. Il s’agit de la date limite jusqu’à laquelle une entreprise est liée par son offre.
Il est possible que le délai de validité des offres expire pendant le confinement ou peu de temps après ce qui ne laissera pas le temps aux acheteurs de les étudier et de se prononcer.
Aussi, pour éviter de devoir relancer une procédure de passation, il est possible, dès à présent, de demander aux opérateurs économiques de prolonger le délai de validité de leurs offres. En principe – c’est-à-dire en temps normal –, plusieurs conditions doivent être réunies afin de respecter le principe d’égalité de traitement :
- Il faut faire une demande expresse à tous les opérateurs économiques qui ont déposé une offre avant la fin de la validité de leurs offres (CAA Marseille, 15 juin 2009, n° 07MA00581).
- L’ensemble des opérateurs économiques doit avoir donné son accord sur cette prolongation (CE, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 24/06/2011, 347889).
Si un candidat ne donne pas son accord :
- il ne peut pas être exclu sauf si les documents de la consultation le prévoyaient expressément (CJUE, 6ème chambre, ordonnance, 13 juillet 2017 affaire C‑35/17).
- L’acheteur devra donc attribuer le marché avant la fin du délai de validité des offres ;
- Et, si cela n’est pas possible, il devra déclarer sans suite la procédure.
La seule dérogation concerne le cas particulier du référé précontractuel : si le délai de validité des offres expire pendant la procédure contentieuse, « la personne publique peut poursuivre la procédure de passation du marché avec les candidats qui acceptent la prorogation ou le renouvellement du délai de validité de leur offre » (Conseil d’État, 7ème / 2ème SSR, 10 avril 2015, 386912). Le but de cette dérogation est d’empêcher que le requérant fasse obstacle à la poursuite de la procédure de passation.
Qu’en est-il en temps de crise sanitaire ?
« Lorsque les modalités de la mise en concurrence prévues en application du code de la commande publique dans les documents de la consultation des entreprises ne peuvent être respectées par l’autorité contractante, celle-ci peut les aménager en cours de procédure dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats ».
C’est peut-être à ce titre que la DAJ dans sa FAQ considère que :
« Si, après avoir pris toutes les mesures nécessaires pour contacter chaque soumissionnaire, certains n’acceptent pas de maintenir leur offres, l’autorité contractante peut poursuivre la procédure avec les seuls soumissionnaires qui ont accepté la prorogation du délai de validité de leur offre ».
Cette solution semble effectivement permettre de s’adapter au contexte actuel.
Cependant, elle ne va pas de soi au regard du principe d’égalité entre les candidats, justement protégé par l’article 3 visé ci-dessus. En effet, le juge a déjà considéré que « que si le délai de validité des offres pouvait éventuellement être prorogé, c’est à la condition que l’ensemble des candidats ait donné son accord sur cette prorogation afin de ne pas porter atteinte au principe de l’égalité de traitement » TA Guyane, 26 août 2016, n° 1600543.
Par ailleurs, les acheteurs doivent également faire preuve de bon sens. La durée de prolongation de la validité des offres ne doit pas être excessive pour éviter par exemple des modifications importantes dans la situation des entreprises ou que l’offre ne soit plus économiquement viable pour l’entreprise.
- Il faut aménager les conditions de visite des sites et de consultation de documents sur place
Certains marchés prévoient des visites obligatoires de site ou des consultations de documents sous peine ou non d’irrégularité de l’offre. C’est le cas notamment des marchés de nettoyage où il est essentiel que les candidats connaissent le nombre et les caractéristiques des vitres, le type de sols etc…
Des visites sur site ont pu être programmées de manière groupée ou individuellement pendant la période de confinement. Elles ne peuvent donc matériellement pas être réalisées. L’acheteur doit alors agir :
- Si une visite groupée est prévue, l’acheteur devra alors modifier les documents de la consultation pour fixer une autre date.
- Si des visites individuelles ont été programmées, l’acheteur devra décaler ces dates avec les opérateurs économiques.
- Les acheteurs devront également modifier la date limite de remise des offres pour tenir compte du report des visites obligatoires sur site. Ils doivent veiller à laisser un délai suffisant entre les nouvelles dates de visites et le nouveau délai de remise des offres pour que les opérateurs économiques puissent préparer leur offre.
- Il sera possible de poursuivre la négociation ou le dialogue sous certaines conditions
Les mesures prises en raison du Covid-19 posent également des questions sur la tenue des négociations ou des dialogues qui sont en cours ou programmés.
Dans la mesure du possible, il faut privilégier les moyens de communication à distance :
- Le téléphone ou les visioconférence (utile si des éléments doivent être montrés). Dans ce cas, il faut retracer tous les échanges afin de respecter les principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats.
- Le mail. Dans ce cas, il faut absolument échanger avec les opérateurs économiques via la plateforme de dématérialisation.
Les négociations pourraient également être annulées, à condition toutefois dans ce dernier cas, de laisser aux candidats un délai pour présenter une dernière offre.
Et si la tenue des négociations est impossible dans ces conditions, il est préférable de demander aux candidats d’accepter un report de validité de leurs offres (cf. point II ci-dessus) ou de déclarer sans suite la procédure.
- L’acheteur peut également déclarer sans suite la procédure
Les différentes mesures précitées ne pourront pas toujours être mises en place. Par exemple, par manque de personnel au sein des services achats ou en raison de délais trop courts.
Dans ce cas, il est préférable pour l’acheteur de déclarer sans suite la procédure :
- Elle peut se faire à tout moment de la procédure (R2185-1 du CCP).
- Et l’acheteur devra impérativement communiquer aux opérateurs économiques qui ont participé à la procédure les motifs de cette décision. Ici il faudra expliquer qu’il est impossible d’assurer la poursuite de la procédure de passation en raison des mesures prises pour lutter contre le COVID-19 (R2185-2 du CCP).
- Et pour la suite, plusieurs possibilités s’offrent à l’acheteur :
En cas d’urgence, un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables pourra être conclu (voir notre article sur le sujet).
L’acheteur peut aussi prolonger les marchés qui arrivent à expiration entre le 12 mars et le 24 juillet (date qui pourra être repoussée).
Il faudra toutefois démontrer que l’organisation d’une procédure de mise en concurrence ne peut pas être mise en œuvre.
De plus, il est précisé que cette prolongation :
- pourra conduire à dépasser les durées butoirs pour les accords-cadres (délais prévus aux articles L. 2125-1 et L. 2325-1 du code de la commande publique). La durée totale pourra par exemple aller au-delà du délai de 4 ans pour les pouvoirs adjudicateurs ;
- mais ne pourra pas aller au-delà de la durée nécessaire à la remise en concurrence, délai décompté à partir du 24 juillet 2020 (sous réserve que cette date soit repoussée).
Remarque : Le texte ne précise pas s’il déroge ou non aux règles sur les modifications des marchés. Autrement dit, s’agit-il d’un nouveau cas d’avenant autorisé ou faut-il respecter les règles générales sur les avenants ?
Cette question a toutefois une portée limitée dans la mesure où cet avenant entrerait dans le cadre du point 3°) de l’article L2194-1 du CCP (circonstances imprévues). Il serait alors soumis à un seuil de 50 % du montant du marché initial pour les pouvoirs adjudicateurs (article R2194-3 du CCP).