COVID-19 et commande publique : comment passer des commandes urgentes ?

La situation sanitaire inédite que traverse le pays en raison de la pandémie liée au COVID-19, a un impact sur les procédures de passation qui ont été lancées avant les mesures de confinement (voir notre article sur ce sujet) mais également sur les procédures de passation à lancer en pleine épidémie.

Certains achats peuvent s’avérer indispensables et doivent être réalisés en urgence. Dans ce cas, des dispositions procédurales dérogatoires sont prévues par le code de la commande publique (CCP). Elles permettent soit de réduire les délais de consultation (1), soit même d’exonérer l’acheteur des mesures de publicité et de mise en concurrence (2).

 

I. Pour les prestations à commander en urgence : il est possible de réduire les délais de consultation, sous certaines conditions

En cas de situation d’urgence, le code de la commande publique permet de réduire les délais minimums de réception des candidatures et des offres pour certaines procédures formalisées et certains acheteurs (articles R. 2161-2 et suivants du CCP).

Attention : Cette souplesse permet aux acheteurs de réduire de quelques jours la procédure de passation mais elle ne permet pas de les exonérer de toute procédure.

 

  • Qu’entend-t-on par urgence ?

Il s’agit d’une urgence dite « simple » qui doit répondre à trois conditions cumulatives :

  1. Le besoin doit être satisfait rapidement (en général, en quelques semaines)
  2. l’urgence est liée à des circonstances particulières qui ne sont pas liées à l’acheteur.
  3. Et les délais normaux de procédure ne peuvent matériellement pas être pratiqués.

La crise sanitaire génèrera nécessairement de telles situations.

Certaines vont surgir en pleine crise ; D’autres après la crise sanitaire :

Par exemple, tous les retards dans l’exécution des marchés publics (chantier à l’arrêt, prestations non exécutées…) pourraient justifier qu’il soit urgent de passer certains marchés à la fin de l’épidémie.

Un exemple parlant de catastrophe naturelle peut être rapproché au cas du COVID-19 : la tempête Xynthia. Elle a eu des conséquences sur les procédures de passation à lancer. Par exemple, l’implantation d’un groupe industriel sur une commune était prévue à une date précise. Des travaux de voiries devaient être effectués pour faciliter cette installation. Or, ces travaux n’ont pas pu être mis en œuvre en raison de la tempête. Et si la commune respectait les délais classiques de procédure, l’installation du groupe industriel ne pouvait pas se faire dans les délais. Cette situation a été qualifiée d’urgente et a justifié que l’acheteur déroge aux délais afin que les travaux soient réalisés dans un délai inférieur à 3 mois (CAA Lyon, 18 décembre 2003, n° 99LY02245).

En revanche, les acheteurs ne pourront pas invoquer l’urgence pour pallier leurs propres carences. Par exemple, des marchés dont la procédure de passation aurait pu être lancée bien avant l’épidémie de COVID-19 ne pourront pas bénéficier de délais réduits de réception des candidatures et des offres.

Ainsi, l’urgence s’appréciera au cas par cas au moment où l’acheteur lancera la procédure de passation.

 

  • Quels sont les délais à respecter en cas d’urgence ?

En procédure formalisée

Les délais minimaux sont différents selon la procédure formalisée. En règle générale, les opérateurs économiques ont a minima entre 30 et 35 jours pour remettre leur candidatures et/ou leur offre. Mais en cas d’urgence, ce délai minimal peut être ramené entre 10 et 15 jours (articles R. 2161-2 et suivants du CCP).

Attention : aucune disposition dérogatoire n’est prévue par les textes dans deux cas :

  • Pour les entités adjudicatrices hors appel d’offres ouvert. Cela s’explique sans doute par le fait qu’elles bénéficient déjà de délais très courts dans les autres procédures formalisées. En général, 15 jours pour la remise des candidatures et 10 jours pour la remise des offres, sauf accord plus avantageux avec les candidats ; ce qui correspond donc aux délais d’urgence.
  • En dialogue compétitif. Cette dérogation est logique ; cette procédure est particulière et demande du temps. Elle n’est pas adaptée à une situation d’urgence.

A noter : En procédure formalisée, lorsque l’acheteur réduit les délais de réception des offres en raison de l’urgence, il doit envoyer les renseignements complémentaires sur les documents de la consultation aux opérateurs économiques 4 jours (au lieu de 6) au plus tard avant la date limite fixée pour la réception des offres (article R2132-6 du CCP).

 

En procédure adaptée :

En procédure adaptée, le code ne prévoit pas de délai minimum de réception des candidatures et/ou des offres. Toutefois, l’acheteur doit fixer des délais qui sont proportionnés à la complexité du marché et au temps nécessaire aux entreprises pour préparer leur candidature et leur offre. En cas d’urgence, ces délais peuvent donc aussi être réduits.

 

  • Quelles obligations respecter ?

Les acheteurs qui décident de déroger aux délais minimaux de réception des candidatures et/ou des offres devront :

  • Motiver objectivement l’urgence ;
  • Justifier de l’impossibilité de respecter les délais ;
  • Indiquer les motifs qui justifient la procédure d’urgence dans l’avis d’appel public à la concurrence ;
  • Et respecter leurs obligations d’information, c’est-à-dire informer les candidats évincés et respecter le délai de standstill en procédure formalisée.

 

II. Pour les prestations extrêmement urgentes : le contrat public peut être conclu sans publicité ni mise en concurrence préalables (urgence impérieuse)

Le CCP prévoit des procédures sans publicité ni mise en concurrence pour les marchés publics et les concessions en cas d’urgence :

 

  • Pour les marchés publics

Les acheteurs peuvent passer un marché public sans publicité ni mise en concurrence préalables (article R.2122-1 du CCP) en cas d’urgence impérieuse. Elle doit résulter de circonstances extérieures que l’acheteur ne pouvait pas prévoir.

La crise sanitaire actuelle entre pleinement dans ce cas car :

  • Elle a créé une situation d’urgence inédite qui nécessite notamment l’achat immédiat de matériels médicaux dans un contexte de pénurie (masques de protection ou de gels hydroalcooliques notamment).Le texte vise d’ailleurs comme cas de recours à cette procédure dérogatoire le danger ponctuel imminent pour la santé publique en faisant référence à l’article L1311-4 du code de la santé publique.
  • Et elle n’est pas liée à l’acheteur, qui ne pouvait raisonnablement pas prévoir la pandémie.

 

Toutefois, le recours à cette procédure dérogatoire est conditionné. Il faut :

  • qu’en raison de l’urgence impérieuse, les délais minimaux imposés dans le cadre des procédures formalisées ne puissent pas être respectés. Le CCP impose aux acheteurs de respecter au minimum des délais de remise des candidatures et/ou des offres entre 30 jours et 35 jours en procédure formalisée. Il est par exemple, évident que l’achat de matériels médicaux ne peut pas attendre ces délais compte tenu de la pénurie que nous connaissons et de la propagation rapide de l’épidémie.
  • Que l’acheteur se limite à acheter les prestations qui sont strictement nécessaires pour faire face à l’urgence. Concrètement, les acheteurs ne doivent acheter que ce qui est nécessaire pour lutter contre le COVID-19.

 

Par exemple, les hôpitaux pourront recourir à cette procédure pour acheter des masques, du gel hydroalcoolique, des lits et des machines d’assistance respiratoire, par exemple. En revanche, ils ne pourront pas utiliser cette dérogation pour commander des prestations qui sont accessoires et non nécessaires à la lutte contre le COVID-19 (Par exemple, des tests de dépistage pour des maladies autres que le COVID-19).

Des prestations exceptionnelles de transport ou de nettoyage de locaux pourront également être conclues, là encore si elles sont justifiées.

Par ailleurs, le marché qui sera conclu devra être limité dans le temps. Il ne pourra durer que quelques semaines et pourra être reconduit en cas de prolongement des mesures prises par l’Etat.

 

Le recours à cette procédure présente des avantages :

  • Elle permet une plus grande réactivité des acheteurs qui peuvent conclure dès à présent un marché en contactant directement l’entreprise de leur choix.
  • Le code ne prévoit pas de limite de montant pour recourir à cette procédure. Elle peut donc être utilisée pour des achats au-dessus des seuils de procédure.

 

Mais attention : le marché devra tout de même respecter certaines règles pour sa passation et son exécution :

  • Pour la passation, par exemple, l’acheteur devra recourir à la dématérialisation si son achat est d’un montant supérieur aux seuils de procédure formalisée qui lui sont applicables. Et si son achat dépasse 25.000 euros HT, il devra obligatoirement conclure le marché par écrit.
  • Pour l’exécution, les règles du CCP s’appliqueront, notamment les règles de modification des marchés publics.

Et, tous les acheteurs ne pourront pas se prévaloir de cette procédure pour leurs achats. La crise sanitaire ne doit pas être un motif pour contourner les règles de publicité et de mise en concurrence.

 

  • Pour les concessions

Le code de la commande publique prévoit une disposition similaire pour les concessions (article R3121-6) :

Les acheteurs peuvent conclure un contrat de concession sans publicité ni mise en concurrence préalables si trois conditions cumulatives sont réunies :

  • L’autorité concédante se retrouve confrontée à une urgence indépendante de sa volonté qui ne lui permet pas de faire assurer le service concédé par son cocontractant ou de l’assurer elle-même.  C’est le cas si certains concessionnaires ne peuvent plus assurer leur mission de service public car – par exemple – leur personnel a exercé son droit de retrait ou est en quarantaine. De même, les collectivités qui assuraient certains services en régie, peuvent se trouver confrontées aux mêmes difficultés.
  • Si la continuité du service est justifiée par un motif d’intérêt général. Toutes les concessions de service ne sont pas concernées. Par exemple, aucun motif d’intérêt général ne justifie la continuité du service public d’une piscine municipale. En revanche, afin d’assurer la salubrité publique, il est nécessaire d’assurer en continu le traitement et la collecte des déchets.
  • Et enfin, la durée de ce nouveau contrat de concession ne doit pas excéder le temps nécessaire pour mettre en œuvre une procédure de passation et / ou le temps de la crise sanitaire.

 

En conclusion, le recours aux procédures d’urgence doit rester exceptionnel et justifié. Les acheteurs devront veiller à invoquer l’urgence avec parcimonie pour éviter toute remise en cause de leur procédure de passation.