Concurrents évincés, tiers au contrat : quels sont vos recours après la signature d’un contrat public ?
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En ouvrant aux tiers la possibilité de contester directement un contrat public, on pensait que le Conseil d’Etat avait définitivement fermé la possibilité d’attaquer les « actes détachables » de ce contrat (choix du cocontractant, délibération autorisant la signature du contrat etc.).
Pour rappel l’arrêt Tarn-et-Garonne, rendu le 4 avril 2014 par le Conseil d’Etat avait en principe délimité le contentieux contractuel ainsi :
Situation au 4 avril 2014 :
La réalité est toutefois plus complexe et des possibilités d’attaquer des actes annexes au contrat demeurent.
L’apparente simplification des recours ouverts aux tiers contre les contrats publics connaît quelques brèches que les juridictions administratives illustrent au gré de leurs décisions.
Il n’est pas possible de demander l’annulation des actes préalables à la conclusion du contrat une fois celui-ci signé
Le Conseil d’Etat aurait pu, dans sa décision Tarn-et-Garonne, adopter une formulation générale en fermant le recours direct contre tous les « actes détachables », comme il l’avait fait dans l’arrêt Tropic.
Il n’a cependant visé expressément qu’un certain nombre d’actes qui sont désormais uniquement contestables par la voie du recours direct contre le contrat :
- La légalité du choix du cocontractant ;
- La délibération autorisant la conclusion du contrat ;
- La décision de signer le contrat.
Mais, la signature des contrats administratifs est précédée d’autres actes divers non expressément visés par cette décision.
A ce titre, on peut s’interroger sur le sort d’une délibération constatant l’existence d’un besoin ou se prononçant sur le principe d’une DSP, la décision de recourir à telle type de procédure ou encore celle de rejeter une offre ou une candidature etc.
Pour pallier cette incertitude, la jurisprudence administrative définit progressivement la limite entre les actes directement attaquables et ceux contestables uniquement par le biais d’un recours contre le contrat :
A titre d’exemple récent, un jugement du tribunal administratif d’Amiens du 31 janvier 2017 « Sté A7 aménagement » n°1500767 (commentée ici), a considéré que « toutes les décisions relatives à la passation du contrat » ne peuvent pas être contestées qu’à l’occasion d’un recours direct contre le contrat.
Cette décision rejoint les conclusions de B. DACOSTA sur l’arrêt Tarn-et-Garonne, qui considérait que « les actes préparatoires à la conclusion d’un contrat déterminé, actes que la jurisprudence a reconnus jusqu’ici comme détachables dans une démarche finaliste, afin de les rendre justiciables du recours pour excès de pouvoir, mais qui n’ont pas d’autre portée que de permettre la formation du lien contractuel ».
Tel est notamment le cas des décisions de rejet d’une offre, de celles rejetant des candidatures ou de celles des commissions d’appel d’offres qui ne sont plus contestables par la voie du recours en annulation classique.
Mais certains actes postérieurs à la signature demeurent directement attaquables, indépendamment du recours contre le contrat lui-même
Si les actes préalables à la signature du contrat semblent préservés d’un recours direct, les actes postérieurs (qui concourent pourtant à la validité du contrat) semblent encore pouvoir faire l’objet d’un recours direct et distinct de celui contre le contrat.
C’est ce qu’a récemment illustré le Conseil d’Etat.
Pour la première fois depuis l’arrêt Tarn-et-Garonne il reconnaît que le recours en annulation est ouvert contre un acte postérieur à la conclusion du contrat : les actes d’approbation du contrat (CE, 23 décembre 2016, n° 392815 et 392819).
Une voie de recours en excès de pouvoir subsiste donc pour les tiers mais elle n’est pas illimitée dans son principe :
-
L’intérêt à agir est strictement encadré puisqu’il faut se prévaloir d’intérêts auxquels l’exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine ;
-
Tous les moyens ne peuvent pas être invoqués : seuls les vices propres à l’acte d’approbation sont recevables, c’est-à-dire l’incompétence, le vice de forme, le vice de procédure et le détournement de pouvoir. Le contrôle de la violation de la loi et des motifs de l’acte ne peut être invoqué dans ce cadre puisqu’ils concernent le contenu même du contrat.
A ce jour, les actes d’exécution n’ont pas fait l’objet de position jurisprudentielle. En principe ces derniers peuvent être contestés par les tiers dès lors qu’ils ne sont pas uniquement liés aux relations contractuelles entre les parties. Toutefois, rien ne permet d’affirmer que cette solution sera maintenue à l’avenir.
Par ailleurs, les actes détachables (pour ceux relevant du juge administratif) relatifs aux contrats de droit privé restent contestables par la voie du recours en annulation (REP).
D’autres précisions sont donc attendues et le chemin est encore long avant de parvenir à clarifier le contentieux contractuel. Mais il invite à être particulièrement attentif à tous les stades de la procédure de passation et d’exécution ainsi qu’à mettre en place une véritable stratégie contentieuse !
Synthèse des recours possibles (au 10 mai 2017) :
Article rédigé par Alexandre Delavay, avocat à la Cour, et Anne Villalard, stagiaire (Master II Pro Droit public des affaires à Paris I).