Vers la fin des refus abusifs de permis de construire ?
Si les recours abusifs sont un obstacle à la réalisation de projets de construction, les refus abusifs de permis le sont tout autant. En effet, aucune règle n’empêche les maires de refuser à nouveau une demande de permis de construire à la suite d’un premier refus annulé par le juge – à la condition toutefois de ne pas le refuser pour les mêmes motifs que ceux sanctionnés par le juge.
La reconnaissance de la possibilité pour le juge administratif annulant un permis de construire d’enjoindre au maire de délivrer le permis
Un des moyens de contrecarrer ces refus dilatoires est de demander au juge lors du recours en annulation formé contre le refus de permis de construire, d’enjoindre au maire de délivrer l’autorisation d’urbanisme sollicitée. Cependant, si certaines juridictions de première instance s’octroyaient le pouvoir d’enjoindre la délivrance du permis, les juridictions d’appel et le Conseil d’Etat refusaient systématiquement une telle possibilité et enjoignaient simplement l’administration à réexaminer la demande.
Le Conseil d’Etat dans un avis du 23 mai 2018 a mis fin à cette divergence entre les juges, en reconnaissant explicitement cette faculté, dès lors que le requérant en fait la demande :
« lorsque le juge annule un refus d’autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l’ensemble des motifs que l’autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu’elle a pu invoquer en cours d’instance, il doit, s’il est saisi de conclusions à fin d’injonction, ordonner à l’autorité compétente de délivrer l’autorisation ou de prendre une décision de non-opposition »
Ce revirement du Conseil d’Etat fait suite à la modification par l’article 103 de la loi Macron ajoutant un 2e alinéa à l’article L424-3 du code de l’urbanisme qui dispose que « Cette motivation [du refus de délivrance de permis de construire] doit indiquer l’intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d’opposition, notamment l’ensemble des absences de conformité des travaux aux dispositions législatives et règlementaires mentionnées à l’article L421-6. ». De cette obligation d’indiquer l’ensemble des motifs justifiant le refus, combinée à l’obligation pour le juge, en matière d’urbanisme, de statuer sur l’ensemble des moyens invoqués susceptibles d’entrainer l’annulation ou la suspension de l’acte, il en découle que sauf oubli de la part de l’administration, aucune irrégularité n’est censée affecter le projet. Dès lors, le juge peut enjoindre à juste titre la délivrance du permis sollicité.
Les limites de l’injonction de délivranceToutefois, il existe deux cas où le juge ne pourra pas enjoindre à l’Administration de délivrer le permis de construire.
Ainsi l’injonction de délivrance ne sera pas possible si les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée – qui demeurent applicables à la demande en application de l’article L600-2 du code de l’urbanisme – interdisent que soit accordé le permis de construire pour un motif que l’administration n’a pas relevé.
Par ailleurs, l’injonction ne sera pas non plus possible si à la suite d’un changement de circonstances, la situation de fait s’y oppose.
Que se passe-t-il en cas d’annulation de la décision annulant le jugement ou l’arrêt enjoignant la délivrance ?
Le Conseil d’Etat dans cet avis a pris le soin de prévoir les éventuelles complications contentieuses.
En cas d’annulation du jugement ou de l’arrêt enjoignant la délivrance de l’autorisation d’urbanisme, l’autorité compétente pourra, après avoir invité le pétitionnaire à présenter ses observations, retirer l’autorisation dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder 3 mois à compter de la notification à l’administration de la décision juridictionnelle.
Si cet avis ne constitue pas une révolution du contentieux de l’urbanisme, il constitue un appui solide pour les porteurs de projets qui peuvent se voir confrontés à l’hostilité de principe de certaines municipalités.
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Article rédigé par Agnès Boudin, avocat associé et Paul Leroy, stagiaire (Master II Droit Immobilier à Paris I)