L’invité du Cabinet, Me William Feugère, nous présente les dispositifs marquants de la Loi Sapin 2 pour les entités publiques et privées
Me William FEUGERE, avocat spécialiste en droit pénal, président d’honneur des Avocats conseils d’entreprises, fondateur des plateformes ethicorp.org et ethipublic.org (voir notre article sur les lanceurs d’alertes).
Question : Nous avons vu les dispositions de la loi Sapin 2 relatives aux systèmes d’alertes et les avantages des plateformes ethicorp.org et ethipublic.org que vous avez créées. Quelles autres dispositions de la loi vous paraissent fondamentales pour les entreprises privées et les entités publiques ?
Outre les lanceurs d’alertes, et de manière générale relatives aux procédures de conformité et de prévention, il y a trois mesures qui me semblent particulièrement importantes : l’institution d’une Agence française anti-corruption, la création d’une convention judiciaire d’intérêt public, et la réforme du statut des représentants d’intérêts, c’est-à-dire des lobbyistes.
L’Agence française anticorruption est instituée par l’article l’article 1 de la loi Sapin 2, qui indique qu’elle est placée auprès des ministres de la Justice et de l’Economie, et qu’elle a « pour mission d’aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. »
Elle a un rôle de préconisation, de contrôle et de sanction.
Ainsi, elle élabore « des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme.
En outre, elle « contrôle, de sa propre initiative, la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d’économie mixte, et des associations et fondations reconnues d’utilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. »
Enfin, et surtout, sa Commission des sanctions peut prononcer des amendes conséquentes, jusqu’à 200 000 euros pour les personnes physiques et 1 million d’euros pour les personnes morales.
C’est Charles DUCHAINE, notamment ancien juge d’instruction à MARSEILLE, rompu aux procédures de corruption, qui a été nommé en qualité de « préfigurateur » de l’Agence, chargé de l’animer et de lui donner son plein essor.
Question : qu’est-ce que la convention judiciaire d’intérêt public ?
C’est un outil important, même s’il demeure imparfait. Il est inspiré du « deferred prosecution agreement » américain, il permet, en cas de poursuites pénales pour certaines infractions, de négocier une peine sans reconnaissance de culpabilité.
Cette convention peut être conclue lorsqu’une personne morale est mise en cause pour corruption (active ou passive), trafic d’influence, prise illégale d’intérêt, blanchiment de fraude fiscale (mais pas la fraude fiscale elle-même) et toute infraction connexe (sauf la fraude fiscale).
L’entreprise négocie alors une convention avec le Procureur de la République, prévoyant :
- Une amende d’intérêt public dans la limite de 30% du chiffre d’affaires moyen des trois dernières années à la date du constat du manquement, avec faculté d’un versement échelonné jusqu’à un an ;
- La soumission de la personne morale pendant 3 ans maximum à un programme de mise en conformité, sous contrôle de l’Agence française anticorruption (frais supportés par la personne morale) ;
- L’indemnisation de l’éventuelle victime.
Question : cette convention est négociée avec le Procureur, donc on ne peut pas en bénéficier s’il y a instruction ?
Elle est négociée avec le Procureur mais elle peut être proposée à deux moments d’une procédure pénale :
- Par le Procureur de la République, tant que l’action publique n’a pas été mise en œuvre (c’est-à-dire en cours d’enquête préliminaire, avant citation devant un tribunal ou saisine d’un juge d’instruction).
- Par un juge d’instruction, lorsque la personne morale mise en examen reconnaît les faits et accepte la qualification pénale retenue ; la procédure est alors transmise au procureur de la République pour négociation d’une convention.
La convention est alors validée par le Président du Tribunal de Grande Instance, au cours d’une audience publique, en présence du mis en cause et de la victime.
Attention : bien entendu, la convention ne vaut que si elle est exécutée. La prescription est d’ailleurs suspendue. Si la convention n’est pas exécutée, le Procureur met en mouvement l’action publique ou saisit un juge d’instruction. Si des amendes ont été versées au titre de la convention, elles sont restituées à la personne morale mise en cause.
Question : En quoi cette convention est-elle innovante ?
L’intérêt fondamental de cette procédure est l’absence de reconnaissance – et a fortiori de déclaration – de culpabilité. C’est ce qui la distingue de la CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité). Ainsi, la décision n’est pas inscrite au casier judiciaire. On évite les poursuites, les difficultés et désagréments d’une procédure pénale, tout le monde y gagne en théorie.
Cependant, ce n’est pas sans inconvénients.
D’abord, une publicité est prévue : la convention fait l’objet d’un communiqué de presse du procureur de la République et elle est publiée sur le site de l’Agence française anticorruption.
Enfin, élément fondamental : cette convention ne bénéficie qu’aux personnes morales mises en cause. Les représentants légaux (dirigeants ou délégués en vertu d’une délégation de pouvoirs) peuvent, malgré la conclusion d’une convention, être poursuivis en tant que personnes physiques.
Question : Et le régime des représentants d’intérêts est modifié lui aussi ?
Oui, pour aller vers plus de transparence, la loi Sapin 2 vient compléter le dispositif applicable aux représentants d’intérêts. Un répertoire numérique national des représentants d’intérêts est institué, rendu public par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
Un nouvel article 18-2 est ajouté à la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique (loi adoptée après l’affaire Cahuzac), définissant de manière large les représentants d’intérêts : « Sont des représentants d’intérêts, (…) les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, (…) dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire », en entrant en communication avec diverses personnes ou autorités, dont la loi donne la liste (membre du Gouvernement ou de cabinet ministériel, député, sénateur, collaborateur d’un député ou sénateur ou d’un groupe parlementaire, collaborateur du Président de la République, dirigeant ou membre du collège ou d’une commission investie d’un pouvoir de sanction d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante,…
La « personne morale » concernée n’est pas seulement une agence de lobbying, mais une entreprise personnellement intéressée, pour son compte. Pour donner un exemple, une entreprise privée du secteur agroalimentaire qui évoquera avec les pouvoirs publics les évolutions de la réglementation dans ce domaine sera considérée comme représentante d’intérêts, même si ce sont les siens.
Il y a évidemment des dispositions similaires pour les représentants d’intérêts personnes physiques.
A l’inverse, ne sont pas des représentants d’intérêts : les élus, dans l’exercice de leur mandat, les partis et groupements politiques, dans le cadre de leur mission prévue à l’article 4 de la Constitution, les organisations syndicales de fonctionnaires et, dans le cadre de la négociation prévue à l’article L. 1 du code du travail, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs, les associations à objet cultuel, dans leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes, et les associations représentatives des élus dans l’exercice des missions prévues dans leurs statuts.
Le représentant d’intérêts mentionne dans le registre son identité, les actions qu’il a menées et les personnes contactées, ainsi que son chiffre d’affaires. Un décret va venir préciser les conditions de soumission au registre. En tout état de cause, seuls les représentants d’intérêts doivent indiquer qui ils rencontrent. Les décideurs (élus, ou autres) ne sont quant à eux tenus à aucune obligation ni aucun registre.